Rendre un peu d'espoir.

«All in all it's just
another brick in the wall
All in all you're just
another brick in the wall»

Son retour en terre natale s’était bien passée. Si habituellement elle passait clair de son temps à chercher les clients potentiels, ce n’était pas la même chose en ces temps durs de famine, aussi Alyss était retournée rapidement à l’orphelinat, porter les maigres rations et argent qu’elle avait eu.

Omis un nouveau-né laissé à l’entrée de la porte quelques jours auparavant – sa mère ne devait plus produire de lait avec cette crise alimentaire, conséquence assez méconnue du manque de vivre mais ô pourtant réelle, et ne pouvait pas se permettre de le garder – l’orphelinat ne comptait pas trop de décès. C’est triste, mais personne n’avait eu le temps de s’enticher du poupon, il était décédé sans plus de cérémonie. Il y avait quelques petits dont la santé devenait inquiétante, et le peu de nourriture allait vers eux. Les plus vieux semblaient extrêmement maigre, semblant s’être privé plus d’une fois pour les autres.

Malgré tout, ils avaient tenu, tentant le plus possible de ne pas trop sortir dans le village où la population était, avant son départ, assez agressive. Elle avait donc retrouvé les petits avec un sourire au visage, sachant très bien que le pire était à venir, mais qu'ils allaient bien.

Depuis, la nouvelle avait traversée les rues : le roi était décédé! Même pas besoin de planifier une révolte.

Si la nouvelle fut accueillie comme une célébration, Alyss était un peu trop terre à terre pour s’en réjouir. Rien ne lui indiquait que sa fille n’était pas cousue de la même étoffe. Ils eurent vent qu’elle distribuait de la nourriture au peuple, bien sûr débutant par le duché. Il serait long avant que Grimaël ne voit la couleur de cette nourriture, si et seulement si c’était vrai. Ça pouvait aussi être un coup publicitaire pour faire oublier les horreurs qu'ils venaient de traverser, et ça ne fonctionnait pas avec elle.

Elle passa donc quelques jours à aider à l’orphelinat, à gérer les quelques dons qu’ils avaient eu, séparer les vêtements, rafistoler ceux qui n’étaient plus mettable, aider à cuisiner des soupes avec le peu disponible et raconter des histoires. Il n’y eut pas plus d’enfants déposés pendant les deux premières journées, avec un peu de chance la population voyait cette nouvelle comme un renouveau et se donner le droit de garder et chérir leurs petits.

Puis il y eut une seconde vague, ces enfants dont les parents avait succombés à la faim. Là, ce fut un peu la panique, la place manquait, la nourriture aussi. Ça prendrait un miracle, et Alyss pensait fortement à la possibilité de retourner travailler en vitesse.

Habituellement, tout le monde avait le temps d’accueillir les nouveaux, les rassurer, leur permettre de s’intégrer. Là, c’était du jamais vu. Ce soir-là, la propriétaire n’y arrivait pas, et la Gorinn devait bien avouer avoir la broue dans le toupet, ce qui était rare ici. Les plus vieux, les habitués, tentaient d'aider. Les plus jeunes mais étant ici depuis longtemps dormaient ou faisaient semblant d'ignorer les pleurs et les cris des nouveaux pour aider. Les autres, ils n'avaient pas encore le temps d'apprendre leurs noms. Ils hurlaient, avaient faim, se cachaient, lançaient des objets, frappaient. La Sanaeh, habituellement d'une grande patience et d'une douceur sans nom, commençait à se demander comment ils allaient faire.
Ça prendrait des bains chauds, des vêtements propres et des vêtements convenables, déjà.

On cogna doucement, et la propriétaire grogna assez fort « si c’est un autre petit, je t’avertie, je ferme tout et je prends ma retraite! ». C’était une façon de parler, bien sûr, la dame devait bien frôler les soixante dix ans et y avait consacré toute sa vie. Miranda, l'aînée de la place qui s'était bien fait à l'idée de ne pas se faire adopter eut un rire las, alors qu'elle portait une petite qu'elle avait réussit à endormir dans ses bras, allant la porter à l'étage où les lit se situaient. Alyss lui fit signe qu’elle allait répondre, prenant cette occasion pour souffler un peu.

Elle ouvrit la porte.

Dans tout ce qu’elle aurait pu s’attendre à apercevoir en l’ouvrant, rien ne ressemblait de près ou de loin à une couronne royale, portée par la nouvelle reine. Rien.

Il y avait même un petit au loin, qui réchignait à dormir depuis deux heures en pleurant, qui cessa tout de suite tout mouvement, la bouche grande ouverte, échappant la petite étoffe trouée qui lui servait auparavant de vêtement et qu’il refusait de jeter. Apparemment lui aussi cette apparition lui cloua le bec.

Alyss ne savait pas exactement comment agir devant une reine. Déjà, ses connaissances dans les nobles étaient limités. Alors une reine, jamais.

Elle ne savait pas trop comment se prosterner non plus, baissant légèrement la tête et murmurant légèrement « votre majesté », bien incertaine si le protocole était suivi.
Les inquiétudes la rongeaient, espérant bien qu’elle n’était pas là pour fermer l’endroit. C’était déjà bien compliqué comme ça sans en plus devoir mettre tous ces enfants à la rue.

Est-ce qu'elle l'invitait vraiment à rentrer, même si l'endroit était présentement un zoo?
L'heure du coucher était toujours bien compliquer avec des nouveaux, surtout quand il y en avait beaucoup d'un coup. Pas assez de personnel pour les border comme il faut ou leur raconter ou lire des histoires, et ils sont trop petit pour pouvoir gérer seuls ces émotions négatives et cette faim.

En même temps, on ne peut pas laisser une princesse... heu, reine à l'extérieur ou lui demander de repasser. En même temps, si les enfants étaient tous comme le petit, ils allaient être impressionnés et ça donnerait un répit à tout le monde.


« Vous pouvez entrée si vous le désirez. » Et si sa garde, qui semblait fort peu sympathique, acceptait aussi.« Que nous vaut cette visite dans cet endroit modeste? » Pour ne pas dire laid.


   

«Sweet berries
Ready for two
Gosts are no
Different than you»

Il y eut un moment où personne ne parla, alors que l’information se frayait un chemin jusqu’à son cerveau : la reine s’était déplacée en personne jusqu’ici pour déposer des vivres? Elle ordonna d’ailleurs à ses hommes d’aller chercher le tout, et force est d’admettre qu’elle avait dit la vérité alors que les premiers entraient avec nourriture en abondance, couvertures, vêtements et peut-être autre chose, mais la Sanaeh n’avait pas vraiment le temps de regarder tout ça, trop médusée par la situation. C’est correct, la patronne s’en donnait un peu trop à cœur joie de tout recueillir et d'assigner les moins jeunes à aider les gardes à déposer le tout au bon endroit, endroit très temporaire le temps que tout soit bien distribuer. Elle viendrait sans doute remercier personnellement la reine après.

Pendant ce temps, la Greywish s’occupa un peu du garçonnet, qui sembla bien vite apprécier la nouvelle venue, mettant assez de côté sa gêne pour rentrer le plus possible dans la cape, visiblement impressionné par le tissu de haute qualité. Habituellement, les enfants ont un bon sixième sens pour les inconnus, Alyss allait donc mettre ses jugements de la royauté de côté. Après tout, ses opinions reposaient presque entièrement sur le fait que le roi n’avait rien fait, et à peine la Greywish est-elle reine qu’elle vient personnellement les aider. Quelle autre preuve voudrait-elle de plus? Reste à savoir si sa nature allait rester en place même après quelques années sur le trône. Ou en espérant que les conseillers de la reine ne verrait pas trop d'un mauvais oeil qu'elle aide les plus démunis.

Bon, le destin en ajouta une couche, puisque la reine sortit une bourse de sa cape, lui tendant. La blanche saisit ce qu'on lui tendait du bout des doigts gelés, encore incertaine de la situation. Peut-être qu'elle s'était simplement assoupie et qu'elle faisait un drôle de rêve.

« Voilà quelques pièces d'or pour aider à reconstruire l'orphelinat et ainsi vous offrir la possibilité d'avoir des artisans pour vous aider. »

Il lui semblait que reconstruire l’endroit était un rêve lointain dans le cœur de tout le monde ici; un rêve qu’on savourait en sachant qu’on ne le verrait pas se concrétiser, mais qui permettait à tout le monde d’oublier que l’endroit pourrait peut-être tomber en morceau du jour au lendemain. Les enfants aimaient bien dire comment il décorerait chaque pièce (bon, avec les plus jeunes, ils avaient souvent droit à des maisons en nourriture, mais toujours est-il que tout le monde ici avait sa petite idée de comment il rénoverait l'endroit).

Si ce n’était qu’un problème d’argent… Pour ce genre de construction, ça ne prenait pas qu’un peu de don ici et là, ça prenait aussi des experts avec un vrai plan. Elles ne pouvaient pas tout détruire et reconstruire en trois ans : où logeraient les petits pendant ce temps? Non, ça prendrait des artisans compréhensif qui travaillent section par section, soit cela soit construire ailleurs et déménager tout le monde une fois les travaux fini. Peu importe lequel des deux, ça prenait des sous, ne serait-ce que pour demander des plans. Mettre des sous de côtés pour faire des soumissions de plans, c'était déjà presque impensable alors qu'ils manquaient de tant de choses.

Soudainement, le plan était plus envisageable.

Alyssandra en avait le souffle coupé, et c'était plutôt rare.

« Wow, je ne sais comment vous remercier… »

C’était vraiment nul, mais elle saurait bien se ressaisir bientôt.

« J'oubliais, je me présente, je suis Élise de Greywish, ravie de faire votre connaissance damoiselle... »

Elle n’avait pas vraiment besoin de se présenter, mais c’était apprécier. Une chance qu'elle lui demandait quelque chose auquel elle avait réponse, ça lui permettrait de reprendre contenance.

« Alyssandra Sanaeh, mais en général on m’appelle Alyss. Enchantée de faire votre connaissance »

C’est très rare qu’elle donnait son nom complet d’ailleurs, mais la reine avait tellement fait pour eux en quelques instants seulement, c’est la moindre des choses.

Elle demanda aux hommes d’attendre à la taverne, s’occupait du petit qui semblait tellement détendu qu’il allait peut-être s’endormir dans ses bras – yes! – pendant ce temps la Gorinn observait la reine sous toutes ses coutures.

Ce ne pouvait pas être un mouvement purement politique : si c’était le cas, elle ne serait pas arrivé presque à la tombée de la nuit au moment où peu de personne ne la verrait réaliser tout ça. Elle se serait assuré que beaucoup trop de témoins soient présent.

Elle semblait aimer réellement les petits, et c’était réciproque. Elle ferait sans doute une bonne mère, en plus sans son père au pouvoir elle avait peut-être des chances d’éviter des mariages arrangés où la seule porte de sortie était d’avoir des enfants et de les étouffer en les empêchant de faire quoi que ce soit pour les garder pour soi comme il arrive souvent dans les familles royales.

Bref, elle devrait bien sans sortir. Elle était jolie, elle lui ressemblait un peu si on oubliait qu'elle semblait un peu plus âgée (en apparence, elle savait qu'elle n'était pas totalement majeure) et elle avait définitivement de très jolies courbes.

Elise restait donc seule avec une femme elle aussi fort jolie, mais qui semblait assez forte aussi, sans doute sa garde du corps.

« Je viens aussi vous annoncer la baisse de vos taxes auprès du royaume, cela devrait aider énormément, mon père avait taxé le peuple beaucoup trop haut et je n'aime pas cela... »

Un autre choc de plus, pendant que le petit lui répondait qu'il s'appelait « Ed », sans doute un diminutif. Edward? Edwin? Elle le saurait bien avec le temps, mais en ce moment le petiot semblait avoir son premier vrai crush, même si la gêne le forçait à cacher son minoi, elle voyait bien dans ses yeux de l'admiration. Elle était presque prête à parier que d'ici 15 ans il faisait parti de la garde royale et jurait fidélité à la reine.

Les gardes quittaient, et Alyss esquissa un sourire: s'ils s'attendent aux tavernes du duché, ils allaient être déçu. Mais elle ne dit pas mot, ils le découvriraient bien assez tôt. D'ailleurs toutes les filles de joie allaient les voir arriver des milles à la ronde et s'essayer les unes après les autres. C'est rare de voir arriver des soldats avec de l'argent dans ce coin ci. Leur départ rassura quelques paires d'yeux qui regardaient de loin, et elle sentit un mouvement léger d'approche, quelques enfants qui ne dormaient pas mais ne voulaient pas se faire voir, sans doute.

« Je vais être honnête, je ne sais pas comment vous remercier. Cela fait quelques années que je suis ici, on a eu des dons de toutes sortes, mais jamais rien d'aussi généreux. Nous avons quelques constructions en vois faites par une de nos filles » ça doit faire bizarre d'entendre ''une de nos filles'' par quelqu'un qui a l'air d'avoir douze ans, mais bon « mais j'ai bien peur que ce soit peu vis à vis tout ce que vous venez de faire pour nous. »

Le petit releva le regard, lui indiquant du même coup qu'il écoutait pas mal tout. Et comme tous les enfants, il voulait participer à remercier pour les cadeaux.

« Du thé? »

Alyss eut un sourire, parce que clairement dans la tête d'un enfant, du thé c'est extrêmement précieux, les adultes s'invitant toujours pour du thé. Il voulait donc lui aussi inviter pour du thé, mais la gêne reprit le dessus et il se cacha complètement contre la reine. C'est un drôle de comportement chez les petits, la gêne qui pousse à se cacher contre la personne qui nous gêne. Imaginez si ce comportement restait à l'âge adulte : vous trouvez un garçon mignon, vous ne voulez pas lui dire, alors vous vous cachez dans son dos, bien collé, vous rougissez et ne dites rien. Voilà, voilà...

« Je peux en effet vous invité à boire le thé, vous et madame? Comment le prenez-vous? »

Alyssandra eut un sourire de plus, les menant vers ce qui servait de cuisine, mettant de l'eau sur le rond. Elles n'avaient pas les moyens d'avoir des grains de café ou de l'eau de vie comme dans les tavernes, mais les feuilles de thé étaient quand même abordable, ça apprenait aux plus vieux à servir ce breuvage et ça permettait aux adultes une santé mentale.

   

«Oh I've finally decided
My futur lies
Beyound the yellow
Brick Road»

Si la Gorinn avait remarqué les yeux trempés de la reine, elle ne fit aucune remarque en ce sens. Le petit saurait lui changer les idées, les enfants avaient souvent cet effet, et ce n'était pas sa place de lui demander quoi que ce soit -ça et bien honnêtement elle était un peu intimidée par la reine elle aussi. Elle se contenta de les emmener dans la cuisine, trouvant rapidement ce qu’elle cherchait. Une fois l’eau sur le rond, elle se concentra à chercher le sucre.

C’est amusant, que la reine prenne son thé noir et sa garde du corps le prenne avec sucre. Elle était mignonne, cette Karina. Habituellement, les enfants apprennent à boire le thé avec du sucre ou du miel pour ceux ayant les moyens, délaissant lentement cette manie jusqu’à ce qu’ils puissent apprécier les arômes naturelles du thé. Ceux qui n’y arrivent pas sont, apparemment, des gens très doux. Bon, c’est des vieilles histoires de grand-mère, mais en même temps elle fait bien de demander du sucre : pour des nobles, leur thé doit être de bien piètre qualité. Alyss finit par répondre à la blonde au gros bouclier, pour ne pas laisser planer de malaise.  

« Si on n’a pas ce luxe, on doit bien se le permettre. Un peu de sucre fait bien le bonheur de ces petits, une fois de temps en temps. »

Jamais avant le dodo, par contre. Oui, il y a des petits qui ne sont pas affectés par le sucre, mais ce n'est vraiment pas la majorité, la plupart se transformant soudainement en petit ouragan miniature, un peu trop heureux d'avoir droit à une sucrerie pour avoir envie d'aller au lit. Le tout était encore en train de chauffer lorsque la reine prit de nouveau la parole.

« Dites-moi demoiselle Sanaeh, est-ce que vous avez quelques idées pour aider le peuple ? Je ne parle pas des nobles ou de riches marchands, mais bien des gens travaillant ou beaucoup plus abandonnés. »

Est-ce qu’elle avait des idées? À la tonne, mais c’est bien rare qu’elles soient écoutées ou même entendues. Aussi, Alyssandra ne s'était jamais donné la peine de mettre de l'ordre dans toutes ces idées, étant bien certaine que c'était uniquement des idées qui la tenaient réveiller la nuit et que le monde n'arrêterait pas de tourner pour les plus pauvres du Viermont. Soudainement, on lui demandait de les dire sans plus de préparation. Prise au dépourvue, elle s'efforça de répondre calmement. Après tout, elle devait être habituée à des nobles qui parlaient bien en tout temps, toujours calmes et posés, non? Avec des plans bien réfléchis et tout. Non, elle, elle n'avait que des idées, pas toujours les meilleures, mais des idées tout de même. L'idée de ne rien faire lui faisait horreur, donc elle avait toujours des plans, pas toujours réalisables...

Elle posa les feuilles de thé das l'eau chaude, sachant habituellement par instinct le temps d'infusion. Il paraît que dans les vraies maisons de thé des villages riches, ils ont des sabliers, mais vous ne trouverez pas de ces petits bidules dispendieux par ici...

« Nous avons d’excellents travailleurs. Pas aussi sophistiqués que ceux habituellement engagés par les rois, mais je dirais plus efficace et plus locaux. Plus rapide et durable. Dans les cas où vous devriez engager quelqu’un pour des réparations, allez chercher dans le peuple. Ainsi, ce dernier ira acheter sa nourriture au marché du peuple, et l’argent finira par se distribuer. Ne serait-ce qu’en demandant à vos hommes d’aller dans la taverne du coin, cela permet à des gens du peuple de mieux s’en sortir… »

Plutôt que de faire venir des gens pompeux de partout ailleurs qui sont déjà méga riche et vont dépenser leur argent chez des riches d’ailleurs. Elle sortir finalement le thé, servant la reine en premier pendant qu'elle ajoutait le sucre dans la seconde, lui laissant une petite cuiller à sa disposition. Elle lui passa ensuite la tasse, se servant en dernier. Le petit commençait à dormir à point fermé, l'air s'emplissant des légers ronflements caractéristiques des petits brûlés de leur journée. Pas facile, perdre ses parents aussi petit...

Elle allait proposer de demander à des fleuristes locaux pour l'enterrement du roi, par exemple, mais se retint, ne sachant absolument pas si c'était encore un sujet sensible.

« Je pense qu'en tant que nouvelle reine, vous devez simplement savoir que la force de votre peuple, c'est l'adaptation, l'entraide et la survie. Si du jour au lendemain nous devions changer complètement notre économie et se spécialiser dans, par exemple, la production de bateaux pour survivre, le peuple le ferait. C'est vu de haut par les autres peuples qui ont des spécialités bien précises et prisés par les royautés, mais faites confiance au peuple et il vous le rendra... »

Alyssandra prit une gorgée de thé, se taisant un peu. Elle aurait aimé avoir les bons mots pour préciser sa pensée, mais elle ne les avait pas. Sa job n'était pas celle d'un militaire, ou peu importe qui devait faire des rapports au roi. Mais s'il y a bien une chose qu'elle aimerait, c'est un souverain qui comprend en quoi son peuple se distingue des autres, ses forces et ses besoins...

   

«They find you
Two time you
Say you're the best
They've never seen»

La discussion prit une tournure inattendue, il était rare d’entendre quelqu’un de haut placé avouer qu’il avait fort confiance dans le peuple, mais pas en lui-même. Cela attendrit quelque peu la gorinn, qui se rappela qu’elle n’était pas encore tout à fait adulte et qu’on attendait désormais d’elle plus que ce qu’elle-même ne vivrait jamais dans sa vie. Alyssandra eut un léger sourire, la laissant vider le reste de ses émotions.

Qu'on lui avoue qu'on n'avait pas confiance en soi-même ne lui faisait pas un pli, c'est beaucoup plus généralisé que ce que le masque des gens ne le laisserait croire. C'était au contraire ceux qui finissaient par mieux réussir, puisqu'ils s'assurent généralement de prendre les meilleures décisions possibles et de s'entourer de gens qui les conseille de manière éclairée.

Dans les faits, la reine de Greywish n’avait pas tors : les prétendants allaient accourir pour avoir la main de la reine pour une seule et unique raison, soit avoir accès au trône, au pouvoir et au royaume. Dès lors, il importerait très peu que la reine soit une personne pleine de générosité, le nouveau roi aurait tous les pouvoirs et pourrait bien installer une tyrannie s'il le désirait.

Un problème à la fois, comme on dit, ce n’était pas fait encore. Tant que son peuple pouvait souffler un peu et recevoir de l'aide de la royauté, Alyssandra ne chercherait plus à s'en mêler et devrait reprendre son train-train de vie régulier.

« Je ne veux pas d'un homme... ils sont tous désagréables, pourquoi ne pouvons-nous pas être deux reines... »

Cette phrase la surpris un peu, ne s'attendant pas à cela. Pourquoi pas? Pour avoir un peu voyagé, il y a certaines contrées où ce serait bien vu. D’ailleurs, elle n’avait pas eu de bonnes expériences avec les hommes elle non plus, elle voyait bien l’attrait qu’on pouvait avoir pour une vie aux côtés d’une femme.

Était-ce une vraie préférence de sa part? Ou avait-elle eu des prétendants violents ou dangereux? Impossible à dire, surtout que sur papier, elle ne connaissait rien de la vie de la reine, sauf qu'elle était reine et donc fille du défunt roi, apparemment tué par un animorphe encore recherché par les soldats. Et encore, c'est des ouï-dire.

Alyss n’enviait pas vraiment sa situation. Elle n’aurait pas pu avoir le genre de vie qu’on s’attend d’une reine, elle n’avait pas eu l’enfance pour et n’avait pas eu le caractère pour. Elle avait durement apprit, mais que l’on s’attende à ce qu’elle marie un nom de famille haut placé pour ensuite jouer les mère au foyer et être en couche plus souvent qu’autrement, non merci. Surtout qu’au final, elle n’aurait pas pu et le roi aurait eu à se trouver une nouvelle mère porteuse.
Ouf…

Alors qu’elle se replongeait un peu dans de lointain souvenir pas des plus roses, Elise ajouta, changeant ainsi la discussion;

« Comme vous devez déjà le savoir, mon père est mort et je vais devoir organiser ses funérailles. Le peuple est invité et je serais couronné officiellement après les funérailles... Je couvre toutes les dépenses reliées à l'hébergement et la nourriture sur place. »

La Sanaeh prit lentement une gorgée de thé, laissant la chaleur humide lui coller sur le bout du nez pendant quelques secondes alors qu'elle cherchait les bons mots. Elle avait quelques avantages sur la plupart ici, soit celui d'avoir eu l'éducation adéquate plus jeune pour recevoir une reine, mais en même temps elle ne l'avait jamais réellement mis en pratique, sauf avec quelques hommes qui aimaient les clientes distinguées, si on peut dire cela comme ça.

« Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je viendrai vous souhaiter mes condoléances en personne. J’emmènerai peut-être le petit, si vous désirez voir des visages qui seront réellement là dans le but d’alléger votre peine. »

Les enfants ont généralement cette empathie naturelle qui n’est jamais feinte, mais peut-être la reine préférait-elle simplement garder cet évènements pour le côté administratif de la chose.
Et ça le fera manger un peu et voir un château, d’ailleurs. Ce n'était pas du favoritisme, et les autres enfants comprendront sans doute que le petiot avait un lien avec la reine désormais, sans compter que beaucoup ne désiraient pas aller en plein milieu d'un milieu aussi à l'opposé que celui qu'ils ont connus, dans des vêtements moins riche. Même les pauvres ont leur dignité...

« Pour ce qui est de la royauté, je n’y connais ps grand-chose, mais en fait d’hommes, j’en connais un brin. J’en connais qu’une faible poignée digne de diriger, et malheureusement ce sont presque tous des hommes qui ont gagné leur vie modestement, loin de l’éducation sans doute rigoureuse de la royauté. Bref, si une femme fait battre votre cœur et qu’elle est plus digne que les vautours qui viendront bientôt… »

Et pour ce qui est de la descendance royale, il y a toujours d’autres solutions, et comme c’est pour elle-même un sujet délicat, elle ne va pas aller parler bébé avec une femme qui n’en veut peut-être pas.

Qui sait, peut-être que la jolie blonde qui suit la reine est celle qui fait battre son coeur? Ça faisait si longtemps qu'il n'y avait pas eu d'histoire d'amour par ici que son cerveau divaguait, si on oubliait les moins petits qui adorent inventer des vies amoureuses secrètes aux adultes... Remarque, elle venait de faire la même chose.

« Mais j'imagine que je parle d'un monde utopique qui n'existe pas et que beaucoup de vieux grincheux verraient d'un mauvais oeil une femme mariée à une femme pour diriger notre beau pays.»

Elle se garda de tous commentaires du style « ça se tasse ou ça crève des vieux grincheux », juste parce qu'elle ne connaissait pas assez la reine pour ce le permettre.
   

«Though I never knew you
At all
You had the grace
To hold yourself»

La reine devint vite rouge, couleur qui lui allait bien d’ailleurs et qui fit rire la prénomée Karina, ce qui fit douter un instant la blanche. Avait-elle été trop loin avec la future reine? Pourtant, Elise ne sembla pas lui en tenir rigueur. Par contre, Alyssandra avait visé dans le mille avec une amoureuse potentielle. D'ailleurs, la relation entre la blonde et la princesse était intéressante. Bon, ce n'était pas non plus le temps de se questionner là-dessus. Mais lorsqu'elle se tenait avec d'autres filles de joie, Alyss aimait bien entendre les ragots que les autres filles avait à raconter, ou encore échanger des informations et en apprendre. Petite curiosité personnelle, ou déformation professionnelle, elle ne savait plus.

« Malheureusement, celle qui fait battre mon coeur m'a clairement dit qu'elle ne ferait plus partie de ma vie. Elle va être présente lors des funérailles pour me protéger et après elle par tenter de trouver l'assassin de mon père... »

La gorinn se tut un instant, réfléchissant et tournant sa langue plusieurs fois avant de prendre la parole pour ne pas dire tout cru ce qu’elle en pensait. Si la personne était présente aux funérailles pour la protéger, c’est qu’elle tenait quand même à elle. Encore plus si elle partait à la recherche de l’assassin. Donc, elle ne voulait plus faire partie de sa vie par peur de quelque chose, sans doute du fardeau qu’elle aurait à porter de ne pas être un parti convenable pour une reine, pas pouvoir donner d’héritier, blablabla. Elle la comprenait d’ailleurs; sans doute qu’elle ne voudrait pas causer de chagrin à la personne qu’elle aime et ne pas être la raison qui ferait en sorte qu’un peuple n’approuve pas les décisions de sa douce. Bref, c’est un gros poids à porter et peut-être que celle qui faisait battre le cœur d’Elise n’était pas prête à vivre avec et qu’elle s’en était rendue compte. D'ailleurs, avec leur réaction, ce ne devait pas être Karina la femme en question.

Ce n’était d’ailleurs que des spéculations de sa part. Elle ne pouvait les dire à haute voix. Elle espérait qu’un jour les mentalités changent au Viermont sur les orientations et le choix de conjoint/conjointe, mais pour l’heure tout ce qu’elle pouvait faire c’est enseigner aux plus jeunes les bonnes valeurs.

« J’imagine qu’elle a de bonnes raisons…

Et elle ne sut qu’ajouter sur l'instant, meublant la pause en prenant une gorgée de thé pour prendre le temps de réfléchir à ce qu'elle allait dire. Même si elle était fort aimable, ce n'est pas comme s'adresser à une vieille amie ou à une voisine. Elle restait la future reine, avec des soldats prêt à l'arrêter si jamais elle franchissait une limite. Alyssandra n’avait pas l’expérience d’une relation saine, elle avait presque tout abandonné par amour aveugle depuis tellement longtemps déjà. Mais d'expérience, la meilleure chose à faire, et la plus difficile, c'est de communiquer. Sincèrement, honnêtement, des deux sens. C'est con, les choses que tu apprends en grandissant, naturellement, en voyant les relations toxiques des autres, et les relations qui semblent bien fonctionner.

« Mais ne vivez pas avec des « j’aurais dû ». Avant son départ, même si ça ne mène à rien, dites-lui ce que vous désirez et ressentez. La blessure restera la même, mais dans quelques années vous ne vous retournerez pas encore le soir avec des « j’aurais dû ». »

Voilà, c'est le seul conseil qu'elle pouvait donner en restant neutre et pas trop investie. Parce que bon chacun fait son petit bout de chemin et les histoires autour d'elle semblent toujours bien finir finalement.

D’ailleurs, elle gardera l’œil ouvert à la cérémonie pour essayer de repérer la femme en question. Curiosité personnelle. Elle pourrait bien ajouter que si c’est une relation publique qui inquiète sa douce, y’a toujours moyen d’avoir des arrangements secret, mais ça dépasserait largement ce que le protocole de choses à dire à une reine prévoit.

« Je m'excuse si cela ne me regarde absolument pas, d'ailleurs. »

Elle eut un léger rire, voulant bien signifier qu'elle ne voulait pas la mettre mal à l'aise, mais si elle voulait se confier elle savait être bonne écoute. Elle ne pouvait garantir que les murs n'avaient pas d'oreilles dans un orphelinat, mais à cette heure c'était plus sécuritaire qu'en plein jour, disons.

   

«Taken away to
The dark side
I wanna be
Your left hand man»

La gorinn semblait percevoir encore sa peine. Une peine qui lui était étrangère, mais familière, l’impression d’être seul au monde. Enfin, l'une comme l'autre semblait entourée, elle avait les petits et la reine avait sa... royauté? Mais dans les faits, ce n'est pas parce qu'on est entouré de gens que l'on n'est pas seul.

Comme de quoi c’est plutôt faux que de croire que l’argent fait le bonheur. Dans son cas à elle, qui semble déjà vouloir redonner et ne pas garder l'argent pour elle-seule, c'est sans doute encore plus vrai qu'elle ne base pas son bonheur sur des piécettes d'or.

Plus de père, avoir déclaré sa flamme mais devoir subir le départ de sa douce alors qu’elle est en deuil et trouver le moyen de passer le peuple avant elle. Plutôt mature pour son âge, plus qu'elle-même ne l'avait été. La blanche était plutôt impressionnée, mais resta muette sur ses observations.

Au moins sa seconde semble l’apprécier, peut-être sont-elles amis. On devrait toujours avoir des amis à qui se confier, surtout dans ces moments-là. Et puis, peut-être a-t-elle plusieurs personnes sur qui compter, au château. La Sanaeh le lui souhaitait, en terminant sa tasse, voyant que les deux femmes seraient sans doute sur leur départ. Elle se leva doucement pour desservir, en écoutant d'une oreille presque distraite la question sur le lit d'Ed.

Elle était plutôt certaine de savoir où il se trouvait, mais pas de bien le décrire. En ce moment, avec la famine qui avait fait beaucoup d'orpheline, c'était un chaos organisationnel, et pour les plus petits, il y avait parfois deux bambins par couche s'ils y entraient.

« Dans le… En fait, je pense que je vais aller le poser. J’allais justement faire une tournée bientôt. »

S’assurer que le tout a été distribué le plus équitablement possible, dire des bonnes nuits, tout ça. Elle aimait bien ce moment, où tous les petits visages avaient un air paisible et semblaient avoir oublié les difficultés de la journée. Les petits pouces dans la bouche, les petits pieds dans les airs et ceux qui racontent des non-sens dans leur sommeil.

Si avec les poupons, le transfert est un périple en soit, risquant à tout moment de réveiller le môme et de passer une sale nuit de sommeil et d'avoir un orphelinat au complet grognon le lendemain, il se passe généralement quelque chose de magique vers deux ans, où les enfants ne se réveilleront pas du tout, ou s'ils le font, ils vont faire semblant de dormir pour continuer à se faire porter. Alyss ne craignait donc pas vraiment que le garçon se réveille en le prenant des bras de la reine.

« Puis-je faire quelque chose pour votre départ? Une couverture, n'importe quoi... »

Elle allait au moins les accompagner jusqu'à la porte, se doutant bien que la reine ne demanderait sans doute rien. Alyssandra demanderait sans doute au lendemain les idées de petits comme cadeau. Une lettre où chacun essaierait d'écrire une lettre de leur prénom (parfois, elle leur enseignait la graphie de leur nom, mais c'était un apprentissage bien complexe pour des jeunes qui ne pensaient pas se servir de l'écriture plus tard), ou encore un jouet fait avec les matériaux du coin. Ils verraient cela demain...