À bon port

La vie faisait son chemin dans l'âme des gens qui traînaient dans le vieux port piteux de Myrefall alors que la noble dame faisait le sien entre les pauvres marins qui arrimaient leur navire. Ses pas frappaient le bois, laissant le talon de ses grandes bottes raisonner de façon beaucoup plus soutenue et rythmée que ce que les marins étaient habitués d'entendre. Elle était vêtue de pantalon ajusté, d'une redingote ajustée et ornée de broderie dorée, ainsi que d'une épée plutôt spéciale pour une arme. Le genre d'épée au pommeau décoré et à la lame drôlement brillante. Pour couronner le tout, la noble femme était bien coiffée, chevelure haute, regard haut. On voyait la différence entre la peau sale et bronzé des marins contrairement à celle pâle et propre de la noble femme. Alors que la sueur était l'odeur la plus sentie, Anastasia laissait filer derrière elle l'odeur d'un doux parfum aux fleurs.

Pour les capitaines et les matelots sur place, c'était une scène surréelle ; Qu'est-ce qu'une femme aussi riche faisait là, sur le bois pourri du port aux abords du fleuve de Myrefall ? Encore, qu'est-ce qu'une femme faisait parmi toute la testostérone sur pattes qui gérait des navires ? Personne ne saurait répondre à cette question, à vrai dire... puisque la raison était méconnue du public. Anastasia gardait ses raisons pour sa propre personne, nul n'avait besoin de savoir ce qu'elle faisait là. Elle n'avait pas envie de partir de fausses rumeurs à son sujet, donc moins le public en savait, mieux ce serait.

La crise de nourriture de Viermont continuait de faire des ravages dans le pays de la neige, et c'est quelque chose qui avait touché particulièrement le coeur de la noble femme. Le fait que le bas peuple meure de faim dans une contrée qui repose plus que tout sur l'importation de nourriture était quelque chose d'inconcevable pour Dame de Hauterive, et elle s'apprêtait à prendre les grands moyens pour aider à la cause. Cela nécessitait évidemment de fournir les vivres et les ressources aux marins pour leur permettre de se rendre plus facilement sur les terres du nord, et ainsi emmener plus souvent de la nourriture de Myrefall là-bas. Se rapprocher de Grimaël et tenter d'hisser la nourriture sur la rive par le village était probablement plus sécuritaire que de faire passer le tout par le duché de Viermont, où le Roi ne se gênerait sûrement pas pour tout ramasser et laisser crever le reste du peuple...

Vicard de Greywish... ce rat horrible qui contrôle le pays de la neige et qui fait en sorte que tous crèvent  de faim. Cet homme ignoble n'a aucune pitié, et il considère encore sa fille comme une objet de reproduction dans l'espoir d'avoir une descendance, et ce, de pouvoir gérer jusqu'à ce que le petit rejeton mâle sortant du vagin de sa propre fille soit suffisamment âgé pour prendre le dessus et taper sur la tête de la pauvre Elise. La princesse était une jeune femme tellement charmante... Anastasia souhaitait presque la mort de Sa Majesté avant que la princesse ne puisse porter un enfant. Un être aussi dégueulasse que Vicard n'avait pas sa place en société, encore moins sur un trône. Décidément, Anastasia ne comprendra jamais la mentalité Vermontoise.

Revenons à nos moutons. Dame de Hauterive marchait sur le quai, se rendant au navire d'un marchand qui s'apprêtait à partir. Celle-ci lui fit signe de descendre de son bateau, chose que le capitaine s'empressait de faire. Elle fouillait dans son sac, remettant une bourse remplie à ce marchand tout en lui demandant d'aller porter les vivres destinés à Airlie directement à Viermont, qu'il s'agissait d'une mission de la plus haute importance. «Je vous fais confiance, capitaine. Ne me trahissez pas.» En réalité, la confiance n'était pas très présente, mais si elle pouvait offrir un peu à un pays en détresse, ce serait déjà cela de gagné. Le marin hochait la tête tout en faisant tilter la monnaie de la bourse, satisfait. Il retournait à son navire pour stabiliser la nourriture à bord, et prendre la mer. Les talons de la brune reprenaient leur soutenu rythme, quittant la branche principale du quai.

Le regard ambré de la noble dame furent attirés par une personne en particulier... mais pas n'importe laquelle. D'habitude, sur un port comme cela, ça sent la sueur des marins, on voit les gros bras des matelots, on entend les injures des capitaines... mais au travers de toute cette testostérone sur pattes, elle pouvait apercevoir une jeune gamine, qui semblait capturer l'oeil malsain de certain mâle féroces sur les navires arrimés au port. Anastasia ne pouvait lui donner plus de 12 ans. Alors qu'elle cherchait à se rapprocher de la pauvre fille qui semblait perdue, le regard de celle-ci capturait bien vite celui de la noble femme. D'une voix enfantine, elle s'adressait à Dame de Hauterive, réclamant de l'aide. Le coeur d'Anastasia tendait à fondre face à cela, et elle comptait l'aider à coup sûr... mais de ses habitudes, elle laisserait ses émotions bien au fond d'elle-même. Démontrer des émotions, c'est une porte ouverte pour un ennemi potentiel.

«Que faites-vous seule ici jeune fille ? » Sa voix retentissait, et alors que son attention était attirée vers la tête aux cheveux blancs et longs, quelques gardes semblaient se rapprocher, question de voir ce qui se passe. Un sombre regard de la noble suffisait pour renvoyer les gardes à leur place, et ainsi laisser Anastasia et le jeune fille seules. « Êtes-vous perdue ? »

Son regard était dur, certes, mais elle devait être strict si elle désirait obtenir ses réponses. La jeune fille, seule, ne lui inspirait pas confiance... en revanche, elle avait vraiment l'air perdue, ce qui faisait comprendre à la noble paranoïaque que la jeune n'était pas un plan de merde contre elle, et que c'était peut-être une enfant réellement perdue, en fait. Ses iris vacillaient entre la gamine devant elle, ainsi que les matelots curieux qui regardaient la jeune avec une envie malsaine qui pendait pendait au nez. Anastasia était prête à prendre la défense de la jeune fille si jamais sa vie devenait en danger, mais encore faut-il attendre ses réponses au questionnaire improvisé que Dame de Hauterive venait d'imposer à la gamine.

La gamine... afin de clore le questionnaire, elle s'empressait de rajouter deux dernières questions :  « Quel est votre nom ? D'où venez-vous ? »

Peut-être était-ce étrange de voir une noble dame se balader comme cela dans un port entouré de tas de muscles souvent à l'intelligence défectueuse où ça sent un mélange de sueur et de sel, mais pour Dame de Hauterive, c'était chose normale. Comme elle le dit souvent si bien ; On ne peut être mieux servi que par soi-même. Évidemment, autant elle que la jeune fille à ses côtés se faisaient reluquer fréquemment par les hommes, mais un simple regard d'Anastasia savait les remettre à leur place. Elle était forte de caractère, et les marins la connaissaient suffisamment pour savoir que la noble n'avait pas l'humour facile lorsqu'elle était occupée dans ses tâches...

... et surtout lorsqu'il était question d'aider des jeunes filles ou des enfants abandonnés. Les orphelins étaient trop nombreux à se retrouver seuls à la rue sans aide, sans assistance et surtout sans ressources... et cela semblait être malheureusement le cas de la jeune gorinn devant elle. Anastasia s'en mordait les lèvres intérieurement tellement elle aimerait l'aider. Elle avait atterri on ne sait trop comment sur Myrefall dans le simple but d'aider ses semblables, la jeune gorinn avait un coeur en or.

Néanmoins, une chose chipotait un peu Anastasia lorsqu'Alyss continuait son récit. Elle désirait se rendre à Gorinn sans ressources, dans ce pays dangereux et probablement trop chaud pour rendre une pauvre gorinn comme ça confortable. Elle réclamait indirectement de l'aide financière. Avec une pauvre gamine seule sur un port dans un pays loin de sa maison, c'est facile de se faire flouer un tas d'argent... Anastasia préférait prendre un peu de recul sur la situation avant de se lancer dans un don à l'aveugle comme elle avait fait avec la jeune femme qui détient le restaurant xavaarois sur Myrefall. Évidemment, approfondir les questions serait sans doute la meilleure chose à faire.

Elle semblait vraiment comme une petite gamine sautant du coq à l'âne dans ses requêtes, sans toutefois compléter ce qu'elle aimerait dire. Pour commencer, le côté alimentaire en Viermont. Anastasia était parfaitement au courant de la crise qui faisait rage dans le pays natal de la petite Alyss. « Pour la crise alimentaire, malheureusement nous ne pouvons pas passer par-dessus l'autorité royale de Viermont... mais soyez sûrs que nous faisons tout en notre possible pour aider. Si le désir est de retourner sur tes terres, j'ai payé le capitaine du navire là-bas pour jeter l'ancre directement sur Grimaël, pour éviter que Sa Majesté de Greywish ne prenne tout. C'est un matelot de confiance, et il n'est pas encore parti.»

C'était une voix stricte, certes, mais ce n'était pas la crise alimentaire qui perturbait Anastasia. C'était le fait qu'elle désirait se rendre à Gören seule qui l'inquiétait. « Pourquoi désirez-vous vous rendre à Gören si c'est pour une question alimentaire ? Avez-vous besoin de quelque chose d'autre que de la nourriture ? » Sa voix avait usé d'un ton interrogateur. Il est vrai que certaines personnes étaient connus là-bas pour fournir des médicaments et d'autres trucs utiles, comme des pommades et des remèdes. Un goût amer s'emparait de sa langue alors qu'elle imaginait le pays voisin faire face à une pénurie de médicaments et une pandémie en plus.

« Est-ce que les... médicaments sont également en pénurie en Viermont ? »

Anastasia savait pertinemment que la raison principale de la présence de la jeune Alyss dans les parages, c’était pour possiblement trouver une solution pour aider les gens qui mourraient de faim en Viermont. Elle était d’ailleurs au courant de choses dont le bas peuple ne pouvait pas savoir ; le Roi était un égoïste de première, et pas qu’en règne. Anastasia l’ayant déjà côtoyé quelques semaines auparavant lors du grand bal du centenaire, ainsi que de nombreuses fois dans les mois précédents, la noble dame connaissait son tempérament. Elle savait qu’il ferait tout pour vivre bien avec sa famille au détriment du reste du peuple, peu importe la raison. Ce n’était pas que dans son règne que Vicard était avare ; dans son quotidien, on y voyait également un égoïsme rarissime. Dame de Hauterive l’avait déjà vu réprimer les droits de sa propre fille pour assurer son propre bien être, chose qui avait horriblement rebuté la noble femme.

Alyss voulait aider, et cela se voyait très bien. Anastasia aimerait également l’aider mais le fait que la jeune fille devant elle semblait chercher pour des médicaments avait grandement refroidi la noble femme de Myrefall : est-ce que le pays vivait une pandémie, ou un manque cruel de médicaments pour guérir certaines maladies ? Est-ce que le manque de ressources causé par Vicard était aussi grave que ce qui passait dans la tête de Dame de Hauterive en cet instant ? Un frisson d’horreur lui parcourait l’échine discrètement alors qu’elle détournait le regard vers les autres marins, question de s’assurer que leur conversation reste bien entre eux. Aussitôt qu’ils croisaient le regard d’Anastasia, les autres retournaient à leur besogne aussi vite qu’ils avaient détournés le regard vers le duo.

La voix de la jeune Alyss se faisait rapidement entendre, tirant très vite Anastasia de ses sombres pensées. Les médicaments sont hors de prix pour la majeure partie de la population, il est vrai. C’était un détail que la noble avait grandement oublié au fil du temps… vivre dans la noblesse est bien, mais lorsque vient le temps d’aider le bas peuple, il devient vite difficile de discerner ce que les gens ont et n’ont pas, et parfois, des choses que la bourgeoisie pense essentielles sont en réalité complètement inaccessibles aux plus pauvres… et il ne faut oublier que les plus pauvres forment la grande majorité de la population de la majorité des pays.

Alors qu’Anastasia allait se justifier et demander les besoins du peuple Viermontois, la jeune fille élevait la voix pour continuer. Celle-ci affirmait qu’elle comptait trouver un remède pour empêcher les gens de ressentir la faim en Viermont. C’était bien digne de l’innocence d’une jeune fille ; qui pourrait croire qu’il existe un médicament pouvant retirer le sentiment de faim, et ainsi pousser les gens à mourir de faim sans la ressentir ? Sentir la faim et avoir un manque d’aliment dans le corps sont deux choses complètement différentes, et il est très important de savoir les différencier. Bien qu’avec un tel médicament -s’il existe- on pourrait faire en sorte que les gens ne ressentent pas la faim, ils font finir par mourir quand-même sous les assauts de la faiblesse menée par le manque d’alimentation. C’était peut-être devenu trop compliqué pour la jeune Alyss… allait-elle vraiment comprendre ? Après tout, qui était Anastasia, pour l’empêcher de s’y rendre ?

Rapidement, elle se justifiait, elle veut éviter les violences et faire en sorte que les gens cessent de s’en prendre aux plus démunis. Les gens vont jusqu’à se tuer là-bas pour obtenir un peu d’aliment pour nourrir sa famille. Plus ça va, et plus il est difficile d’écouter sans réagir pour Dame de Hauterive. « Je comprends ton désarroi. Je comprends que tu désires faire cesser la violence… mais les gens sauront qu’ils devront manger quand-même éventuellement s’ils désirent ne pas mourir, non? Je crois qu’il va au-delà de ces médicaments pour calmer les gens ; il faut réellement trouver moyen d’emmener les ressources aux pays sans que Sa Majesté s’empare de tout. »

Ce serait difficile, mais bien la seule façon d’emmener des denrées au pays pour que le peuple puisse réellement en profiter. Bien que les plans de la petite Alyss pourrait être bons, il faudrait quelqu’un pour bien penser un plan d’action et ainsi se servir de la paix temporaire qu’emmènera ce médicament pour faire réfléchir le peuple sur la source réelle du problème s’ils désirent réellement le régler… et c’est quelque chose qui était au-delà des capacités d’un enfant selon Dame de Hauterive. Si, celle-ci réussit à mettre la main sur le médicament d’une quelconque façon que ce soit, la noble dame se jurait de l’aider du mieux qu’elle le pouvait sans mettre son statut de prophète du Roi de Myrefall en jeu… parce que d’agir contre la royauté d’un autre pays pourrait mettre en péril sa grande carrière auprès de la royauté de ses terres natales.

« Si tu réussis à mettre la main sur ce médicament, j’aimerais en obtenir la confirmation. J’aimerais que tu t’en serves avec beaucoup de recul, et que tu t’assures de bien éduquer les gens qui prendront ces médicaments-là : cela ne remplace pas la nourriture. » Évidemment, il est très important de bien instruire les gens à qui elle donnera ces médicaments-là, et Anastasia ne pouvait pas manquer la chance de le lui rappeler sincèrement. « Entre temps, je trouverai le moyen de détourner discrètement des ressources alimentaires vers les autres villes et villages sans les faire passer par le duché. Moins le Roi de Greywish voit passer de nourriture, moins il pourra s’en approprier…. Et plus il en restera pour le peuple. J’en parlerai également à Sa Majesté de Myrefall, dans l’espoir qu’il puisse négocier avec Greywish. »

Elle avait fait part de ses plans à la jeune fille devant elle, dans l’espoir de pouvoir la rassurer face à ce qui s’en venait ; Dame de Hauterive tentait de faire tout en son pouvoir pour alléger la tâche aux habitants de Viermont, et ainsi leur offrir la nourriture pour laquelle ils se battent depuis trop longtemps déjà. Il pourrait être méchant de dire que la mort du Roi arrangerait bien des choses, mais malheureusement, il s’agissait sûrement du souhait le plus commun dans le pays de la neige en ce temps de crise, où Sa Majesté de Greywish refusait clairement d’aider son propre peuple et son propre pays. Dire que la noble femme souhaitait la mort de Vicard serait mentir : il serait plus approprié de dire qu’elle apprendrait très bien à vivre sans sa présence au trône.

Malgré les raisons qui alimentaient la conversation entre la jeune fille et la brune, cette dernière n’avait pu être plus stupéfaite de se faire offrir… un jouet, en guise de remerciement. Alyss lui assurait qu’elle n’oublierait pas ce que la noble dame lui avait donné comme renseignement sur le médicament tant convoité par la jeune blanche, et terminait sa phrase en lui proposant une récompense pour l’avoir aidé. Elle avait notamment demandé à Anastasia si celle-ci pouvait passer par Grimaël aussi, ce qui arrachait un léger sourire à la noble.

Anastasia n’était pas habituée de se faire offrir des objets comme cela. Souvent, les gens tentaient d’offrir leur corps à la noble femme, chose qu’elle déclinait très rapidement avec un sentiment de dédain profondément marqué. D’autre fois, on lui offrait de magistrales sommes d’argent, qui pour elle, n’était rien d’autre que de la poussière. La fortune de Dame de Hauterive s’élève suffisamment haut pour que les dons en argent la fassent rire. Néanmoins, un don aussi marquant que celui d’un objet fièrement travaillé par un enfant, c’était… particulier, comme sentiment. Anastasia se sentait plutôt déchirée par cela ; elle n’était pas du genre à accepter ce genre de trucs, mais puisqu’il s’agissait d’enfants, elle ne pouvait faire autrement que d’accepter.

L’une des raisons principales pour laquelle Anastasia n’avait toujours pas de famille et n’en désirait pas, c’était surtout parce que la jeune noble avait une douceur hors pair envers les enfants, chose qui pourrait afficher l’une de ses failles majeures à ses ennemis. Elle préfère donc de loin rester célibataire, éviter de se rapprocher de quelqu’un en général, et surtout, éviter de se rapprocher des enfants… et d’une certaine manière, communiquer avec Alyss en ce moment était quelque chose de relativement compliqué pour la noble femme, elle qui avait l’habitude d’être beaucoup trop sérieuse. L’innocence des enfants est quelque chose de difficile à gérer pour bien des gens, dont Anastasia.

Un léger sourire marquait ses lèvres alors que la jeune fille demandait à quel nom envoyer le cadeau, un sourire qui était une chose relativement remarquable chez la brune. Son visage imprégné de son visage terne de sentiments était alors déformé dans une moue plutôt chaleureuse, pour une fois. Sa douce voix s’élevait à nouveau, alors qu’elle s’apprêtait à accepter l’offre de la jeune fille. «Tu peux le noter au nom d’Anastasia de Hauterive.» Il était rare qu’elle donne son nom ainsi, et offrir son titre de noblesse en ces circonstances n’avait pas réellement sa place… son nom suffisait. C’est en temps de crise, face à l’innocence d’un enfant que l’on se rend compte à quel point la fortune d’une personne est quelque chose de tellement éphémère.

«Tu n’as pas besoin de me l’envoyer.» Sa voix marquait encore une fois le silence. Certes, Anastasia ne comptait pas rester assis sur son cul, chez elle, à donner du fric aux pauvres pour profiter de leurs bons services en transport maritime pour acheminer de la nourriture dans les pays pauvres. Dame de Hauterive était connu particulièrement pour s’afficher en cas de besoin, et elle comptait bien imposer sa présence sur le continent viermontois pour aider Elise à soutenir le peuple, chose que Vicard de Greywish ne sait faire, visiblement. «Je marquerai vos terres de mon passage dans les prochaines semaines. Je comptais déjà passer au château Royal de Viermont pour m’adresser en personne à Sa Majesté de Greywish, question de transmettre les mots de Sa Majesté de Myrefall.»

Ça y est, Anastasia venait d’affirmer son passage auprès de bon nombre d’enfants. Elle qui avait une certaine tendance à rebuter la présence des jeunes, elle allait devoir se rendre directement dans un orphelinat. Elle regrettait presque aussitôt les mots qu’elle venait de dire, cherchant encore pourquoi elle avait osé proposer quelque chose pareille sans réfléchir. Ce n’était pas dans ses habitudes d’agir comme une tête en l’air, mais là, faut croire que l’innocence des enfants l’a ainsi poussé à agir de la sorte. Maintenant qu’elle l’avait dit, elle allait tenir ses promesses et se présenter là-bas. Néanmoins, sa présence en Viermont allait se marquer principalement par la transmission des messages royaux entre les duchés de Myrefall et de Viermont.

Eh oui, Anastasia était habituée de transmettre des messages. De base, elle était probablement la femme envers qui Sire de Myrefall a le plus d’attentes, mais également le plus de confiance. Elle allait clairement se rendre sur les terres de Viermont et s’adresser en personne à Vicard de Greywish, et elle comptait bien régler cette merde elle-même s’il ne faisait rien. Évidemment, dans une situation pareille, la discrétion allait être de mise. Malgré tout, en dehors du duché, Anastasia comptait bien visiter un peu le pays, et afficher sa présence dans les autres villages… dont Grimaël, comme la jeune Alyss lui avait demandé. «Je passerai donc par Grimaël pour y prendre le cadeau. »

Dame de Hauterive restait bien humble malgré tout. Elle comptait rester tranquille, et se contenter d’aider du mieux qu’elle le pouvait. Dame de Hauterive avait toujours été une noble dotée d’une richesse de l’âme supérieure à celle de ses possessions. Il serait facile pour une personne possédant une telle richesse de venir se vanter en public, au port, et surtout dans un orphelinat. Il serait tellement simple de montrer tous ses acquis et ses possessions aux enfants, et ainsi les manipuler pour les emmener plus facilement en Myrefall, là où ils auraient une meilleure vie que dans un pays glacial comme Viermont… et là, glacial ne s’applique pas qu’à la température, mais également au cœur de pierre de Sa Majesté.

Malgré tout, Anastasia savait pertinemment qu’elle n’y gagnerait rien du tout à faire cela. Au contraire, elle risquerait plus de déstabiliser tous ces pauvres petites âmes en peine qui ont été abandonné avant même d’atteindre l’âge de dix ans. Elle allait donc devoir les aider à sa façon, directement là-bas, tout en évitant que le reste du peuple apprenne que l’orphelinat a un petit surplus comparativement au reste de la population… pourquoi ? Parce que le peuple crève tellement de faim que ce sentiment de famine les pousse au meurtre et leur enlève complètement la raison, ce qui explique donc toute l’horreur qui se passe là-bas. Anastasia comprenait parfaitement le sentiment d’impuissance habitant Alyss, et surtout, son profond désir de mettre la main sur un médicament permettant aux gens d’éviter de ressentir la faim.

La voix de la jeune fille s’élevait finalement, venant préciser à la noble dame que celle-ci comptait lui faire visiter l’ensemble de l’orphelinat… mais ce, seulement si le Roi de Viermont la laisserait sortir. Une filée de rumeurs s’en suivait, laissant donc croire que Vicard enfermait tout le monde et méprisait le reste du peuple au point d’empêcher les visiteurs de se pavaner dans les rues des autres villages. Le léger sourire s’effaçait rapidement des lèvres de la brune, alors qu’elle affichait un regard interrogateur. Il est vrai que le Roi est nonchalant, mais de là à partir de telles rumeurs… ! Des plans pour le faire passer pour un gros vilain meurtrier…

… quoi que c’est ce qu’il est, en ce moment.

La prochaine question avait surpris Anastasia… demandant si Emile de Myrefall était plus chaleureux et moins mauvais que Vicard. Oui, évidemment ! Le sourire de la noble revenait presque aussi vite qu’il était parti, et elle acquiesçait d’un signe positif de la tête. «Pour travailler quotidiennement avec Sa Majesté de Myrefall, oui il est sympa… plus que votre Roi, du moins.» Anastasia savait qu’elle ne devait pas dire cela… et c’est pourquoi elle l’avait dit un peu moins fort que d’autres choses. Son regard s’adoucissait lentement.

La jeune fille lui demandait à nouveau s’ils allaient se revoir… certes ! Son sourire s’étirait légèrement, acquiesçant d’un hochement de tête. La voix de la noble s’élevait à nouveau, alors qu’elle comptait bien rassurer la jeune fille. «Oui, nous allons nous revoir.» D’une certaine manière, elle n’avait pas le choix de la revoir… elle devait aller à Grimaël, et elle comptait bien aider l’orphelinat…. Et si elle désirait réellement le faire, elle n’avait nul autre choix que de se présenter là-bas, et la petite Alyss devrait logiquement y être… puisqu’il s’agit d’un enfant de l’orphelinat ! En fait, elle est quand-même présente dans Myrefall sans surveillance en ce moment, ce qui faisait craindre à Anastasia que peut-être, celle-ci aurait tendance à s’échapper.

La brune retirait rapidement un collier de son cou. Une petite chaîne discrète en argent et orné d’un pendentif muni d’une petite pierre bleue, quelque chose de relativement spécial. La valeur de ce collier aux yeux d’Anastasia était moindre, comme la majeure partie de ses biens matériels, mais elle comptait bien rendre une petite fille heureuse. Elle glissait la petite chaîne délicate autour du cou de la jeune gamine, lui offrant donc ce collier. Un léger sourire au visage, elle se redressait, regardant la jeune fille avec un regard satisfait. «Il te va bien… ! Prends-en soin, et montre-moi que tu y fais attention lorsque je repasserai à Grimaël. Je te le donne.»

Dame de Hauterive ne s’attendait vraiment pas à jouer la nounou alors qu’elle n’était de passage que pour vérifier que tout se fasse dans les règles de l’art au port… soit détourner la nourriture vers les villages directement à l’aide d’une petite bourse données sous la table discrètement. Moins il en tombe entre les mains de Sa Majesté de Viermont, mieux c’est. Par contre, la gamine l’avait grandement déconcentré de son travail… elle semblait perdue, la pauvre, et voilà qu’elle s’était liée d’amitié avec elle en lui donnant un bijou tout en lui promettant de se rendre à l’orphelinat de Viermont où elle restait. C’était un peu étrange comme situation, il va sans dire, mais Anastasia devait faire comme si rien n’était. Son but était la sécurité des gens, et cela comprend les enfants égarés dans les pays étrangers. Elle avait donc payé le capitaine du navire en conséquence pour qu’il prenne soin de la jeune fille.

D’ailleurs, bien que jeune et innocente, la petite Alice avait des buts particulièrement noble, certes, mais c’était plutôt marquant de voir une destination finale aussi éloigné dans les yeux d’une aussi petite fille complètement inoffensive. Vouloir aider dans la situation du manque de nourriture c’était très noble de sa part. C’est là que l’on constate le danger de cette crise alimentaire : les jeunes enfants trop innocents sont prêts à s’aventurer dans des situations risqués dans des pays inconnus pour obtenir de l’aide parce que leur propre dirigeant ne veut pas les aider. D’une manière, ça fendait le cœur de la noble femme de voir un tel désespoir habiter le cœur de personnes aussi jeunes, et ce, bien malgré le fait qu’elle devait absolument continuer de faire comme elle l’avait toujours fait ; garder un visage de marbre et complètement dépourvu d’émotions.

Anastasia allait avoir un peu de mal à bien dormir pour les prochains jours. L’envie de faire beaucoup plus que ce qu’elle faisait en ce moment bouillait en elle. Si seulement les femmes avaient un meilleur poids social dans ce pays glacial, peut-être que la princesse Elise ainsi que dame Anastasia pourrait peser un peu plus dans la balance, et faire comprendre au Roi sa propre gaffe serait sûrement moins complexe que ce que c’est en ce moment.

La jeune Alice semblait toute contente de recevoir ce cadeau de la part de la noble dame. Certainement qu’un simple collier pourrait peut-être être insignifiant pour quelqu’un comme Anastasia mais elle savait que cela aurait probablement une plus grande valeur que la moitié de l’orphelinat… voir tout le bâtiment au complet. Malgré tout, cela allait créer un certain lien entre ces deux-là. Comme si ce lien allait rappeler autant à Alice que Myrefall a entendu leur cri du cœur, que pour Dame de Hauterive qui se souviendra longtemps d’aider ses pairs de l’autre côté de la mer du nord. Elle ne s’était jamais liée comme ça aussi vite à quelqu’un, mais il va sans dire que la jeune était plutôt attachante. Un léger sourire sincère se faisait voir sur le visage de la noble alors qu’il est rare de voir ses lèvres déformées par un rictus.

«Allez, file. Je te confie la surveillance du capitaine. Fais sûr qu’il mène la nourriture au bon port. Bon voyage, jeune fille..»

Sa voix s’était élevée assez pour qu’Alice entende ses mots. Après s’être assuré que le capitaine allait bien faire son job dans une courte conversation avec lui, elle lui filait discrètement une bourse supplémentaire, question de faire sûr que la jeune fille soit bien escorté jusqu’à la bonne place en Viermont. Par la suite, elle tournait les talons, rapidement, changeant rapidement de branche sur le quai pour aller communiquer avec quelqu’un d’autre. Le câlin de la jeune Alice l’avait quelque peu marqué certes, et ses réponses un peu frivoles également. Bien que sa journée de travail avait repris, elle restait dans une espèce de transe… un peu comme si la détresse de Viermont vu dans les yeux d’un enfant l’avait beaucoup plus marqué qu’au travers les yeux d’un adulte qui manifeste dans la rue…

Anastasia allait tenir sa promesse… elle n’avait pas fini avec Viermont.