Les hommes me dégoûte... seras-tu des leurs ? (Ft. Draghan Keroth)

Cet exploration, j'étais sensé la faire avec ma soeur de coeur, Lythrana. Cet expédition était en premier lieu ma porte de sortie pour recommencer ma vie à nouveau. C'était mon espoir de changer mon avenir, et ainsi m'offrir une meilleure chance dans la vie minable que j'avais commencé sur une terre où les habitants voulaient me tuer. Je comptais sortir de ce pays avec l'autre elfe noire, mais malheureusement, celle-ci semblait s'être égarée quelque part entre le navire et Esberynn ; le navire d'Orion avait quitté le port et j'avais pris la déchirante décision de rester à bord, peu importe ce qui se passerait de Lythrana. Il est vrai que cette décision me donnait mal au coeur, mais pour avancer et tourner la page, parfois, il faut passer par dessus notre passé, et éviter d'y retourner. Lythrana faisait bel et bien parti d'un passé que je trouvais noir, et pour mon bien-être personnel, je ne pouvais me permettre de l'attendre alors que ma vie n'était qu'à quelques vagues d'être meilleure.

Le soir-même, j'étais assis sur le premier pont, à babord, regardant le courant de l'eau nous porter dans le néant que nous offrait l'océan à perte de vue. Les étoiles merveilleuses reflétaient chalereusement sur l'eau qui nous portait, la lune éclairait le ciel comme la seule lanterne des ténèbres, nous guidant vers de nouvelles terres. Le spectacle paisible que m'offrait les astres en cette merveilleuse nuit était non seulement magnifique, mais également reposant. Encapuchonné depuis le début du périple, c'est après une longue inspiration que j'abaissais le tissu qui recouvrait ma pâle chevelure, libérant du coup les mèches qui s'empressaient de voltiger dans le vent. Mon visage noirci par ma race se libérait finalement, laissant percevoir mes iris vairons à quiconque regardant vers moi. Je venais de dévoiler au grand jour ma vraie nature, alors que c'était quelque chose que je cachais au tréfond de mon être alors que je vivais sur mes terres natales. Sans le savoir, la liberté que je possédais dans le pays m'emprisonnait dans mon passé, chose que j'ai enfin pu surpasser.

À la mélodie que m'offrait le vent dans les voiles s'ajoutait bien vite une douce voix. Hypnotisé par les images magnifiques qui défilaient sous mes yeux, je me laissais bercer inconsciemment par les sons que faisaient cette mystérieuse jeune femme avec ses cordes vocales. J'écoutais les inspirantes paroles, la mélodie me réconfortant. La vie de marin était drôlement paisible lorsque les tempêtes ne menaient pas les vagues de l'océan. Le navire qui dodelinait sur les vagues au rythme de la voix mélodieuse qui se faisait entendre ne faisait que m'apaiser de plus en plus.

Le doux rêve éveillé qui menait mes pensées se coupait rapidement lorsque la jeune femme terminait sa mélodie, me ramenant donc rapidement à la réalité. Son silence me frappait presque aussi fortement qu'une grosse masse qui me martellerait le crane. Ma vue soudainement clarifiée se retournait rapidement vers la provenance de cette sublime voix pour constater qu'une jeune demoiselle à la longue chevelure d'ébène était allongée sur le pont du navire à regarder le ciel étoilé, pareillement comme je le faisais quelques secondes avant qu'elle ne coupe mon état lunatique de son soudain silence. Un doux sourire se dressait sur mon visage, un très court instant, avant de le laisser disparaître, concentré à prendre la direction que la jeune humaine -visiblement-.

- Pardonnez-moi... mademoiselle.

Ma timide voix légèrement rauque fendait le silence comme une épée fendrait l'air. J'avais peur de la déranger, j'avais peur de me faire détester, reconnaître, et la crainte de trouver la mort sous l'épée d'un ennemi ou un rival se faisait toujours autant ressentir, malgré la cinquantaine de lieues que nous avons parcouru après avoir quitté le port d'Esberynn. Je me râclais légèrement la gorge discrètement, question d'éviter une rauque voix à noouveau, puis je repris la parole rapidement, sans trop perdre de temps.

- Ce que vous chantiez, c'était merveilleux.

Merveilleux était un bien léger mot. Peut-être pour elle ce n'était rien de chanter comme tel, mais pour moi, cette féérie était quelque chose d'exceptionnel, le genre de situation que j'avais trop rarement eu l'occasion de voir sans me faire jarter hors du village de Basseterre. Je trouvais magnifique tout ce que les gens pouvaient faire avec leurs cordes vocales, avec tout autre partie de leur corps. C'est comme ceux qui grattent les instruments de musiques, qui font danser le tissu qui les recouvre, ou ceux qui savent peindre des portraits magnifiques. Je ne suis pas assez artistique pour arriver à faire ça, même la moitié me paraît inatteignable.

- Je m'appelle Draghan... et vous ?

 

La mélodieuse voix qui avait su enchanter mon âme en ces temps sombres de ma vie s’était subitement arrêtée, c’est ce qui m’avait poussé à aller à sa rencontre, et ainsi lui donner tous les merveilleux commentaires que je tenais à lui remettre à l’égard de son grand talent pour le chant. Mes yeux vairons la contemplait, une petite beauté naturelle il va s’en dire, et mes pensées sombres avaient su s’estomper au fil de la mélodie. Cela faisait déjà un long moment que je n’avais pas ressenti une aussi grande paix intérieur, mon âme était paisible contrairement à ce que je ressentais comme anxiété lorsque j’étais à Xavaar. Mes sentiments étaient chamboulés, j'avais l'opportunité de changer de vie, et de réaliser mon rêve...

La jeune femme se présentait, certes, mais celle-ci commençait également à me montrer son corps, comme si elle cherchait à m’offrir la beauté de ses courbes et ce, sans même que j’ai demandé quelque chose. Je ne savais pas comment réagir face à ce genre de comportement… refuser ? Oui. Je n’avais pas envie de faire cela sur le pont du navire comme ça, devant tout le monde, comme un nympho qui ne sait pas où se la foutre pour se combler… De ce que j’avais compris depuis mon arrivée sur le navire, la jeune demoiselle était la servante du grand et courageux capitaine. Était-elle considérée comme un simple vide-couilles par son maître ? Était-elle considérée comme un objet par ses pairs, ou comme une esclave par les autres marins ? La simple pensée qu’une vie aussi sombre se soit offerte à la jeune servante me laissait un goût amer…

Mon léger sourire qui s’était formé avec la mélodie venait de s’estomper par l’image de Nysali qui se dévêtissait sans scrupule sur le pont du navire. Innocente ? Oui… elle ne connaissait rien à la vraie vie, la pauvre… peut-être que les rumeurs étaient vrais finalement, peut-être que les grands démons n’étaient pas tels les images qu’ils nous offrent en ce moment… leur vraie nature est peut-être aussi morbide que ce que les mythes nous ont laissés comprendre par le temps. Ma voix s’élevait finalement, exclamant ma façon de penser face à la situation actuelle.

- Je ne suis pas là pour ton corps… mais pour te connaître.

Mon regard possédait une lueur de sincérité que j’avais rarement laissé percevoir. Ayant vécu comme étant un genre inférieur depuis mon tout jeune âge, je pouvais clairement comprendre ce que la pauvre jeune fille pouvait ressentir… quoi que si celle-ci est née dans la famille d’Orion en tant qu’esclave, peut-être que son esclavagisme est tout ce que la pauvre Nysali a pu connaître dans le passé. Je ne la connaissais pas personnellement, et c'est ce que j'essayais de faire en ce moment... donc je ne pouvais rien supposer pour le moment. J’avais un tas d'hypothèses en tête en ce moment, mais je n’osais pas lui parler tout de suite de tout cela, alors que nous nous connaissions même pas encore. Cela allait venir éventuellement, certes, mais ce n'était guère le cas en ce moment.

- Nous allons naviguer ensemble… et faire ce genre de choses ici-là, sans se connaître, devant tout le monde alors que nous sommes en exploration, cela ne nous aidera pas à naviguer ensemble.

Là-dessus, je marquais un point et je ne pouvais le nier, bien malgré le fait que je ne suis pas du genre à me vanter sur mes dires ni mes actions. Mon regard s’adoucissait, et se rivait fortement dans ses yeux que je trouvais magique. Bien que son corps était certes alléchant, je ne pouvais pas me permettre de craquer si facilement à une tentation qui serait si simple à obtenir en temps normal… mais pour le moment, j’avais d’autres trucs en tête, dont l’opportunité de reprendre en main ma misérable vie pour en faire quelque chose avec lequel je désire m’impliquer davantage que ce que je vivais à Xavaar.

- Rhabille-toi, s’il te plait. Tu vaux plus que ça.
 

La réaction de la jeune femme m'avait étrangement paru désespérée, et désemparée. Elle semblait s'attendre à ce que je me serve de son corps pour assouvir un besoin naturel que je ne ressentais aucunement en ce moment. Face à l'inconnu, la jeune femme avait baissée le voile pour y cacher de nouveau ses jambes, haussant les épaules. La situation ne tournait pas à son avantage, elle venait d'être projetée dans une situation qu'elle ne connaissait pas, et je comprenais totalement son incompréhension du moment. Lorsqu'on a toujours vécu la même chose, et que du jour au lendemain tout change, subitement, sans signe préalable, il est normal d'agir à la défensive, voir même de fuir.

Néanmoins, la jeune humaine ne semblait pas me fuir. Au contraire, celle-ci avait laissé percevoir un désir de compréhension. Elle commençait par confirmer ma réaction ; non, mon désir n'était pas de la prendre comme n'importe quelle testostérone sans cerveau. M'expliquant que c'était la première fois qu'un être vivant d'une autre race que la sienne lui montrait un signe de gentillesse, je ne pouvais faire autrement que d'être choqué. Elle avait été élevé dans ce monde impur, dans la luxure, dans les péchés de la chair. La douce femme devant moi me posait des questions, cherchant une explication à mon refus de toucher son corps sans raison alors que nous ne nous connaissions même pas. Pour moi, il était question de logique mais pour elle, c'était une réaction qui lui était totalement inconnue... et je lui devais des explications face à cela, visiblement.

Je n'avais pas eu le temps de lui livrer ma façon de voir les choses que la jeune femme rajoutait une série de questions à ceux déjà en suspens. Heureusement, ceux-ci s'apparentent à la raison de ma présence sur ce navire plutôt que sur la réaction que j'avais eu face à son offre macabre. Alors que je m'apprêtais à répondre aux précédentes questions, j'avais dû prendre le temps de tout rechanger le sujet dans mon esprit, et tenter d'éclaircir celui-ci pour être en mesure de livrer une réponse raisonnable.

- L'inconnu. La recherche de renouveau, je dirais.

Ce n'était pas que cela. J'avais bien plus que cela en tête, et je me sentais mal de ne pas tout lui dire. Cela allait se savoir éventuellement, à force de cohabiter sur un navire tous ensemble plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Je soupirais légèrement, comme si cela saurait me retirer un poids supplémentaires des épaules. Je reprenais la parole, sur le même ton neutre, comme si je n'étais pas affecté par ce que je m'apprêtais à dire. Mon regard se retournait vers les ténèbres de la nuit, regardant la lanterne que la lune nous offrait en cette soirée magnifique.

- À vrai dire, j'ai besoin de changer de vie, voilà. J'ai commis des crimes par le passé en Xavaar et maintenant je cherche à me rependre. Je suis recherché là-bas, mais je cherche de nouvelles terres pour m'établir et repartir à zéro. Après l'expédition, je pensais peut-être m'installer sur Myrefall.

C'était suffisant. Elle savait tout de ma raison d'être ici... après, libre à elle si la curiosité la gagnerait ; je préparais déjà mes explications sur les fameux crimes que j'ai commis. J'ai honte de mon passé. J'ai honte d'avoir agi aussi aveuglément alors que j'aurais simplement pu me rependre avant de commettre ces horribles crimes. J'aurais pu simplement pardonner à Abigail plutôt que de tuer sa femme pour me venger, comme un con. J'aurais pu réfléchir et apprendre plus sur le sujet de la nécromancie avant de l'apprendre, et de réanimer ma douce dans l'espoir de la ramener à la vie... parce qu'en réalité, je n'ai fait que contrôler un pantin. D'autant plus que la nécromancie est prohibée, cela fait de moi un criminel. J'ai non seulement honte...

- Je regrette tellement de choses de ma vie passée, que je ne vois plus de raison de rester là-bas. La seule façon que j'aurais de me rependre serait d'y trouver la mort ; Or, je préfère quitter et trouver ma place ailleurs, tourner la page, et apprendre à penser à autre chose que mes années passées qui hantent quotidiennement mes pensées...

 

Je venais tout juste de m’ouvrir entièrement l’esprit à quelqu’un que je ne connaissais presque pas. C’était la première fois que j’avouais tout de ma vie à quelqu’un comme cela, et je trouvais cela étrange de me le permettre… mais d’une certaine façon, cela semblait me retirer un certain poids de sur les épaules. Pour couronner le tout, Nysali ne semblait pas choquée par ce que je venais de dire, ce qui me faisait croire qu’elle avait probablement déjà vu pire. Cela me soulageait un peu, et cela me rassurait de voir que je n’étais pas rejeté de la société à cause de ce que j’avais fait dans mon passé.

Elle ajoutait même que j’avais l’option de rejoindre l’équipage du Dominium Oceanis à long terme. Malheureusement, naviguer n’était pas pour moi ; j’avais le mal de mer aussitôt que je n’avais pas le regard rivé sur les vagues et sur l’horizon. En plus, je ne connaissais pratiquement rien de la vie sur la mer, je ne connaissais aucun truc pour m’orienter sur l’eau, et surtout, je ne comprenais toujours pas comment fonctionnait les différentes voiles du navire. Je peinais encore à différencier bâbord et tribord, ce que je trouverais déplorable pour un navigateur… ou simplement un marin, en fait. Je ne pouvais pas me permettre de rejoindre l’équipage du Dominium Oceanis à long terme, c’était clair. Après, j’avais peut-être l’option de changer d’idée en cours de route ; cela ne faisait que quelques jours que l’expédition était lancée. J’avais le temps de m’adapter, encore.

La jeune femme devant moi élevait rapidement la voix pour s’exprimer sur mes capacités. Elle me demandait carrément mes connaissances en la matière et en quoi j’allais être doué sur un navire comme celui d’Orion. Malheureusement, je ne connaissais rien du tout sur le navire. Mes capacités se limitaient sur la terre ferme. Heureusement, une expédition sert principalement à dénicher de nouvelles terres non habitées. Terre non habitée signifie généralement pas de nourriture disponible. Le mode survie s’appliquera donc une fois sur terre, chose dont j’excelle. J’allais sûrement mettre toute mes chances là-dessus et sur les spécifications concernant le fait que je connais tout de la survie sur terre.

-  Je serai d’une meilleure aide sur la terre ferme. La survie n’a aucun secret pour moi, donc je pourrai mettre à profits mes connaissances sur la cuisson, la chasse et la majeure partie des détails concernant la survie sur une nouvelle terre non habitée.

C’était clair. Ma plus grande force s’avérait être principalement sur terre. Évidemment, question survie, cuisiner de la viande n’est pas que le seul détail ; où trouver de l’eau fraîche ? Quels fruits sont comestibles pour nous ? Quels sont les champignons dangereux, et quelles sont ceux qui sont sans danger ? Comment soigner une blessure sans médicaments et sans équipement de soin, et quelles plantes ont des vertus de soin ? Comment s’abriter et rester au chaud lors d’un orage ou d’une tempête emmenant un froid particulier ? Mes connaissances en survie était relativement bien développée… c’était bien une chose dont je pouvais me vanter.

-  Sur le navire, je ne suis pas d’un très grand aide, pour être franc. Je ne connais rien du tout, c’est probablement ça qui va me pousser à refuser l’offre de rester sur le Dominium Oceanis à long terme.

Je ne pouvais pas me permettre de me lancer dans une telle aventure de vie. Je désirais une vie plus paisible, comme à Myrefall… pays où, par les dires des visiteurs, est une contrée ouverte d’esprit où je risquerais d’être fort agréablement bien accueilli contrairement à Xavaar et Gören, et ce, malgré mes différences marquantes avec le peuple Myrefallois. J’allais d’ailleurs pouvoir mettre mes compétences et mes connaissances plus à profits là-bas plutôt que sur un navire. Après tout, c’est une question de goût et de choix personnels.

J’étais présent sur ce navire dans l’espoir de fuir une misérable vie que je m’étais bêtement imposé en assassinant gratuitement quelqu’un… et voilà qu’on m’avait proposé de rester sur le navire. Je ne désirais pas personnellement rester enfermé sur un bateau… quoi qu’il y avait très peu de circonstances offrant une plus grande liberté que de devenir marin sur un navire qui scrute les mers et les océans.  Encore, dans le cas où je deviendrais marin, je ne pourrais pas être totalement libre puisque je serais au service d’un capitaine, et si ce capitaine était un démon en plus, je craindrais particulièrement le dénouement de cela. Je n’aimais pas devoir obéir aux cadres que l’on m’imposait… et cela comprenait clairement les tâches lourdes à faire sur un navire comme celui d’Orion, qui n’est clairement pas un navire de croisière.

Dans mon futur, je me voyais plus comme un homme travaillant dans un commerce, sur terre, dans un pays, quelque part dans un petit village paisible où les gens sauraient m’accepter comme je suis, et ce, tout en laissant les horreurs de mon passé derrière moi. Je ne considérais pas nécessaire de traîner le fardeau qu’était mon passé, cela ne ferait qu’alourdir ma vie en général. J’allais donc tourner la page sagement sur ma vie du passé, et idéalement, de Lythrana aussi. J’étais soulagé de la retrouver, mais plus mes pensées se forgent sans elle, plus je me disais qu’elle ne ferait que rendre ma vie plus lourde, et me ralentir dans la quête de mon propre bien-être.

Heureusement pour moi, Nysali semblait avoir compris cela. Elle me remerciait indirectement pour mes services et mes talents hors du navire, et j’acquiesçais d’un simple signe de tête affirmatif ainsi que d’un petit rictus discret. Je n’étais pas habitué d’avoir des remerciements, et encore moins des félicitations, ce qui me rendait plutôt mal à l’aise dans la situation actuelle. Alors que mon regard vaguait entre le visage de la jeune femme devant moi ainsi que le ciel sombre, mon attention se retourne très rapidement vers l’humaine à mes côtés, celle-ci réagissant très mal aux regards suspicieux et étranges des gens près de nous.  Je me sentais également dégoûté à force de me faire dévorer du regard par ces tas de testostérones en manque… parce que oui, que ce soit moi ou Nysali, avec la proximité que nous avions à ce moment-là, c’était difficile de dire que les regards ne faisaient que la cibler.

En parlant de proximité : je me sentais rapidement tirer. Cela m’avait pris quelques instants pour comprendre qu’est-ce qui se passait à ce moment-là, mais je réalisais le tout une fois que je me retrouvais collé contre la jeune femme avec qui je parlais. Celle-ci m’avait ramené près d’elle, forçant le passage de ma main sur ses hanches, question d’attraper la rampe du pont du navire pour l’y enfermer entre moi et le rebord du navire. Mon corps devenait drôlement chaud, et j’étais collé contre un corps peu vêtu. Si je n’avais pas été un elfe noir, on aurait pu voir le rouge me monter au visage…mais vu ma couleur de peau, on voyait juste le grand inconfort dans mon regard, ainsi que le désir de me redresser et libérer l’humaine.

Cependant, Nysali s’empressait d’élever la voix, juste assez pour que je l’entende me murmurer de rester ainsi un moment. Elle m’expliquait très brièvement que certains nouveaux matelots peu habitués à la vie marine la décourageaient. J’y comprenais clairement le fait qu’ils tentaient possiblement de se la taper à tous les instants où elle affichait une simple ouverture. Elle me rassurait rapidement par la suite en me disant qu’Orion ne m’en voudrait pas de faire ce que je faisais à cet instant-là, comme quoi je la protégeais sûrement. Quoi qu’avec les regards saliveux qui ont été lancés en notre direction quelques instants avant que Nysali bouge ainsi, ce n’était pas très difficile de savoir de quoi elle cherchait à se cacher.

-  C’est bon… mais… euh… on va rester comme ça longtemps ? Je veux dire…  

Je bégayais légèrement, comme si je peinais à parler raisonnablement avec une telle proximité. Je n’arrivais pas à exprimer clairement ce que je voulais faire, et il était vrai que de composer mes phrases complètes avec les balbutiements qui me prenaient rendait très difficile le fait de s’exprimer librement. Tout ça à cause de cette proximité avec un corps relativement alléchant, il va sans dire… mais un corps que je me forçais à refuser, pour éviter de paraître aussi maniaque que les mecs étranges qui nous regardaient de travers depuis quelques minutes déjà. Finalement, c’est après un court moment de réflexion à composer mes phrases mentalement que je me lançais enfin, reprenant ma phrase d’avant sur une voix beaucoup plus faible, question de se faire entendre que par nous deux.

-  Je veux dire… ils prennent longtemps avant de  se désister ? Tu as déjà essayé de les faire attendre de la sorte, ou ils te passent sur le corps avant qu’ils changent d’idée ?  

Évidemment, s’ils étaient tenaces, je craignais d’y passer aussi. On va se le dire, je suis un petit elfe noir frêle, je n’ai pas beaucoup de chair pour me défendre, pas beaucoup de muscles pour défendre Nysali. Toutes ces années à manger le strict minimum à la survie auront fait de moi un être plutôt chétif, et facile à écraser. D’ailleurs, je n’étais pas quelqu’un fort sur la défense, je préférais fuir… hélas, comment fuir sur un navire ? Nysali était en train de me faire un cours express 101 sur la fuite dans un endroit clos, visiblement… Allez, Draghan. Apprends.

J’avais été surpris comme un gamin en train de faire une connerie… et pourtant, c’était la jeune humaine qui était en train d’en faire une. Elle m’avait tirée vers elle, s’enfermant elle-même contre les remparts du navire alors qu’elle cherchait visiblement à fuir les regards malicieux de ses coéquipiers d’infortune. Effectivement, être la seule femme à bord d’un navire a beaucoup plus de mauvais côtés que de bons, il va sans dire. Toute cette testostérone en mule qui se baladait sur le pont du navire réussissait à me mettre moi-même très mal à l’aise sur l’embarcation alors que ce n’était pas tout à faire sur moi qu’étaient rivés les nombreux regards malsains. Je pouvais très bien comprendre la pauvre Nysali de devoir affronter de tels comportement à journée longue lorsqu’elle était seule avec eux sur le Dominium Oceanis.

J’avais bégayé pour lui demander quand est-ce qu’ils allaient lui foutre la paix, question que je puisse enfin la relâcher et m’éloigner… et la jeune femme n’avait pu s’empêcher de me faire remarquer cette flagrante maladresse. Si j’avais été un elfe blanc, on aurait pu voir l’écarlate gagner mes joues mais heureusement, mon teint de peau ne changeait pas selon mes émotions. Quoi dire de mon regard ; je le détournais presque instantanément alors qu’elle venait toucher mon nez, me faisant sentir encore plus con. C’était déjà une situation fort en malaise pour moi en ce moment, fallait qu’elle m’en rajoute une couche supplémentaire en me le faisant remarquer… !

Elle m’expliquait que cette situation n’allait pas perdurer longtemps, et le fait de flâner avec quelqu’un sur le pont démontre aux autres marins qu’elle était capable de vivre sans eux, sans sexe et surtout sans leur testostérone débordante. Cela allait également leur faire comprendre qu’elle était occupée à faire autre chose… et possiblement qu’elle semblait plus intéressée de flâner avec un mec qui n’avait pas une trique aussitôt qu’elle les regarde. Cela m’attirait un léger sourire en sachant que ce serait suffisant pour détourner leur attention, ce qui pourrait lui permettre de se réfugier dans les bras du grand démon capitaine de ce navire. Il est vrai qu’Orion semble fort et grand, et d’ailleurs, quoi de mieux que les bras d’un grand démon comme lui pour se sentir en sécurité de quiconque osera lui faire du mal… ! Oui, je considérais que la prendre pour un vide-couilles serait une forme de violence que la jeune femme pourrait se passer…

… et c’est clairement ce que Nysali me faisait remarquer alors qu’elle posait son front sur moi. La chaleur de sa peau contre la mienne, rien de pire pour la situation actuelle : le contrôle que je devais imposer sur mon propre corps, et les images horribles et dégueulasse que je devais passer en boucle dans ma conscience pour éviter de virer en trique… ! Mon regard perdu se retournait finalement vers elle, qui finit par me remercier, m’embrassant sur la joue avant de me souhaiter bonne soirée. Par la suite, elle se séparait de moi, laissant un froid étrange à l’endroit où son front était posé… un froid vide, dépourvu de cette chaleur que je recherchais depuis déjà quelques mois… peut-être quelques années. Cette chaleur qui est parti avec ma douce lorsque celle-ci s’est faite assassiner.

Elle quittait le pont, et je la suivais du regard jusqu’à ce qu’elle pénètre la cabine du capitaine pour retrouver son maître qui dormait déjà depuis quelques heures, comme un grand frère s’assurant que sa petite sœur rentre en sécurité avant de partir lui-même. Pour ma part, perdu, je me dirigeais d’un pas chancelant vers la cale, puis vers ma propre cabine tout en cherchant la clé d’une main maladroite. Une fois le bout de métal agrippé, je le sortais de ma poche, l’échappant par terre dans la plus grande non-discrétion possible. Cette femme me rendait maladroit.

Elle avait un petit quelque chose qui me perdait. Ma main cherchait le trou de la serrure, incapable d’insérer la clé dans ce dernier. Je soupirais, fermant les yeux un instant avant de les ouvrir… et avec toute la concentration possible, j’enfilais enfin le bout de métal dans la poignée de la porte de ma cabine. J’entrais dans la pièce, refermant la porte sans manquer de la verrouiller. Mes pas lents me menaient à mon lit, où je me laissais lourdement tomber. Couché contre le matelas, mon regard perdu scrutait les détails du plafond. J’étais perdu dans mes pensées…. Et pas pour rien.

Je ne comprenais toujours pas comment Orion, grand démon comme il était, pouvait faire subir cela à sa servante. Peut-être inconsciemment, certes, mais il obligeait sa servante à rester sur le navire en sachant pertinemment que tous ses marins chercheraient à se la taper violemment pour passer leurs pulsions sexuelles malsaines. Peut-être il assurait une sécurité en la gardant à l’œil et en sévissant contre les malfaiteurs qui osaient tenter de s’y tremper le maillet, mais rien ne les empêchait d’échapper à l’œil du chef de troupe, comme les marins ont pu me le démontrer ce soir en renversant la jeune fille d’un tas de regards dégueulasses, démontrant dans la lueur de leurs yeux tous les trucs horribles qu’ils lui feraient subir simplement dans le but de combler leurs plus profonds désirs inaccessibles, pourtant si facile à obtenir.

Je m’endormais lentement sur ces pensées horribles…